La grande guerre des classes, 1914 – 1918
Que dire du livre monumentale de l’historien néerlandophone
Jacques R. Pauwels sur la « grande » guerre ?
Que c’est un tour de force, une brique de 670 pages,
qui raconte l’histoire de ce conflit à travers une interprétation de type
marxiste.
Unique dans son genre, je pense, car je ne connais
pas d’équivalent dans d’autres langues.
Livre important car les commémorations bidon de
1914-1918 me montent au nez ! C’est
un gaz moutarde que je n’apprécie guère.
Pauwels persiste et continue sa série de livres qui
dérangent l’ordre établi car il refuse une vision historique à leur solde.
Il publie chez EPO (maison d’édition lié au PTB en Belgique,
donc d’origine maoïste) et harcèle le système par des œuvres comme :
-Le mythe de la bonne guerre. Les Etats Unis et la
deuxième guerre mondiale (2000)
-Les Canadiens et la libération de la Belgique,
1944-45 (2004)
-Une histoire des noms des pays et des peuples
(2006)
-Le Paris des sans-culottes, un voyage à travers la
révolution française (2007)
Noms
européens pour le monde (2008)
et donc maintenant
-La grande guerre des classes 1914-1948 (2014)
Curieux de découvrir où cet historien enseigne ou
enseignait, en Belgique ? Mais non, au Canada !
Stupéfaction ? Pas vraiment …
Le livre est surprenant car il situe ou explique la
première guerre mondiale dans le contexte d’un 19° siècle qui dépasse largement
la notion stricte des siècles.
Ce conflit, selon Pauwels, commence en 1789 par la
révolution française et va se terminer provisoirement en 1919.
L’introduction au livre bouleverse déjà et annonce
le but et le développement ou la suite du livre.
L’historien parle d’une démarche « wheels within wheels »
(roues parmi les roues) pour comprendre les rouages du conflit et de l’histoire
en générale.
La roue extérieure est la plus connue car c’est celle
des événements militaires, répandu par les médias et l’écriture historique
officielle.
D’autres roues sont moins visibles car on en parle
rarement: la roue culturelle et la roue sociale et économique.
Pauwels utilise parfois l’art pour démontrer ce
mécanisme, en analysant par exemple le film excellent de Stanley Kubrick « Les
sentiers de la gloire » ou une peinture de Dali qui nous oblige à regarder
la réalité de façons différentes (le tableau « Lincoln dans la vision de
Dali »).
Kubrick montre dans ce grand film pacifiste (et il
en fera des autres après comme Dr Folamour ou Full Metal Jacket) la première guerre
mondiale comme un conflit, non entre français et allemands, mais surtout entre
ceux d’en haut, ceux d’en bas et ceux au milieu.
C’est une approche ou analyse de la première guerre
mondiale par la perspective de classes différentes, opposées, alliées,
aliénées.
La guerre verticale
qui oppose nations et alliances de pays est remplacée par une vision de la
guerre horizontale, entre classes
donc.
Vision que Pauwels partage et pourquoi il parle de
1914-1918 comme « une grande guerre de classes ».
Et cette guerre de ce « long » siècle
commence donc en 1789 par la révolution française, un conflit qui oppose d’un
coté l’aristocratie lié à l’église catholique et de l’autre coté la nouvelle
bourgeoisie commerciale et industrielle soutenu dans une première phase par « le
menu peuple » (paysans, ouvriers, artisans, sans-culottes).
C’est cette révolution brutale qui ébranle l’ancien
régime et qui va engendrer une série de guerres internationales jusqu’en 1815.
L’aristocratie en dehors de la France veut
absolument empêcher l’exportation de la R.F.
Et la bourgeoisie en France qui craint le
radicalisme démocratique du peuple veut avant tout canaliser l’énergie
révolutionnaire du pays vers des « ennemis étrangers ».
Le radicalisme de Robespierre va être remplacé par
les conquêtes napoléoniennes.
Pauwels appelle cela à juste titre : externaliser
la révolution au lieu de la radicaliser dans son propre pays…
Cela continuera après et va débouter dans la grande
guerre en passant par une série de conflits, de guerres, de révolutions et de contre-révolutions :
1830 – 1848 – 1870/1871 – 1905.
Pauwels lie donc la révolution française avec la
révolution belge, les guerres franco-allemandes, la commune de Paris, la guerre
russo-japonaise et la première révolution russe ratée de 1905.
Il pose la question par le ridicule : comment
est-ce possible que la grande guerre qui débute en 1914 après un long siècle de
dialectique entre révolutions et guerres n’a rien à voir ou échappe la lutte
des classes ?
« Les
conflits de classe sont rarement pures, ils sont souvent mélangés avec des
guerres entre pays, avec des révoltes nationales, des révolutions et même des
conflits religieux et linguistiques ! »
Citation de Pauwels ? Non, de l’italien
Domenico Losurdo (historien et philosophe).
D’ailleurs la liste des notes, la bibliographie et
la liste de noms à la fin du livre témoignent du sérieux de Pauwels. C’est le boulot
d’un vrai historien dont on sait vérifier et contrôler les sources.
Cela me fait penser à la série de livres sur
1914-1918 publié par la maison d’édition DE KLAPROOS depuis 2000 dans une
perspective Belgo-flamande mais cela est un autre sujet, donc je ne l’aborde
pas pour le moment.
Pauwels explique très bien que le caractère
révolutionnaire de la bourgeoisie de 1789 va vite se modifier en
contre-révolution après les révoltes populaires de 1848 et de 1871 qui mettent
en péril leur propre projet de domination de la société.
Pour la nouvelle haute bourgeoisie au pouvoir « le
menu peuple » devient dangereux car ai, ai, ai, ce peuple travailleur ne
travaille pas seulement mais développe aussi des nouvelles organisations comme
les partis socialistes et les syndicats. En plus il découvre dans le marxisme
une idéologie qui englobe ses aspirations d’émanciper le monde entier !
Misère pour les riches, quoi.
D’où la réaction d’autres idéologies et pensées
contre le danger marxiste comme le social-darwinisme ou les réflexions du
philosophe élitiste Nietzche.
Ensemble ils disent et défendent le principe
sanitaire des guerres : seulement la guerre peur arrêter définitivement le
danger démocratique, égalitaire et surtout révolutionnaire qui est
contre-nature !
Oops, certains de mes ami(e)s vont grincer les dents
en lisant cela.
Même l’art et la culture n’échappent pas aux
contradictions de classe.
Le romantisme est l’expression de cette nouvelle
réaction, du nationalisme contre-révolutionnaire.
Pauwels mets aussi en évidence le BONUS des guerres
pour la nouvelle bourgeoisie par les gains territoriaux, par la colonisation et
des conflits pour obtenir ou agrandir ces territoires.
Le capitalisme rentre dans sa phase finale : l’impérialisme.
Et oui, Pauwels partage l’analyse de Lénine.
Tout cela joue lorsque la grande guerre éclate mais
en même temps la vipère se mord dans sa propre queue car la grande guerre va
aussi provoquer la première révolution prolétarienne en 1917.
Merde alors ! Ce n’était pas exactement le but
des assassins de Jaures !!
Pauwels insiste maintes fois sur la nécessité de
prendre un regard à distance et de le maintenir.
La grande guerre n’est pas exclusivement une guerre
européenne mais une vraie guerre mondiale. Les colonies, semi-colonies sont
tous mêlées dans le carnage et les luttes intra-territoriales.
Il cite de nouveau Losurdo mais qui ne répète que
Marx :
« la
lutte des classes n’existe pas seulement par des conflits sociaux entre classes
au sein d’un pays mais aussi par les luttes d’émancipation de pays et de
peuples qui sont opprimés par d’autres pays et peuples… »
Et il insiste : ceci ne s’applique pas
seulement au sein des pays colonisés mais aussi dans certains pays et régions
en Europe comme l’Irlande et la Pologne. Pauwels se tait sur l’Espagne ou la
question flamande en Belgique. C’est dommage mais bon, ce livre reste
remarquable dans son genre. Donc je le salue très fort.
La première guerre mondiale n’est pas seulement
importante et déterminante pour l’histoire des pays et des peuples d’Europe
mais aussi pour ceux en Afrique, les Etats Unis, le Japon, la Chine, l’Inde, le
Moyen Orient (déjà) car l’empire « ennemi » Ottoman contrôlait les
sources pétrolières…
Les conflits en 1914 et ceux de 2014, la différence
devient minimaliste…
J’exige une traduction urgente du livre de Pauwels
en français, anglais, allemand, hébreux et farsi.
Je demande un débat sérieux entre historiens
sérieux.
Je veux une discussion entre JJ Marie te JR Pauwels.
Dat zal wel niet voor morgen zijn !
(cela ne sera pas pour demain).
A. Marti
Livre :
Jacques R. Pauwels : de Groote Klassenoorlog,
1914-1918
Edition : EPO, Anvers, Belgique (2014)
ISBN 978 94 91297 694
Couverture du livre :
La Mitrailleuse par CRN Nevinson, 1915
Collection : Tate Modern à Londres
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